Texte envisagé à la lecture par un membre du CCADV (Paris), mais qui n’a pu trouver de place lors d’une réunion de « débat » en vue de la révision des lois de bioéthique de 2018/2019
11 avril 2018.
Je tiens à remercier les organisateurs d’avoir prévu un espace pour la parole plus ou moins improvisée, même si j’ai des critiques sur lesquelles je conclurai.
Je m’exprime au nom du Comité Contre l’Artificialisation du Vivant (CCADV) qui milite contre l’artificialisation du vivant et avait déjà produit un rapport en 2009 pour la révision des lois de bioéthique dont il n’est pas certain qu’il ait seulement été lu. J’y reviendrai.
Je voudrais initier mon propos en affirmant mon attachement à quelques valeurs, puis en analysant un article à partir duquel j’appliquerai ces valeurs pour en déduire des conséquences, puis en concluant.
Comme le rappelle H. Arendt, les grecs définissaient l’homme comme un animal doué de logos. Mais ils savaient bien que les barbares parlaient. Le logos ne se réduit donc pas à la seule parole. C’est la capacité à aller sur l’agora et tenter de convaincre, mais aussi et peut-être surtout la capacité d’écouter. Ma première valeur positive sera donc l’écoute. Et non ce n’est pas évident car cela inclut la tolérance, le refus des anathèmes, de l’ostracisation, ... que je vois chaque jour à l’œuvre dans notre société du Spectacle où des gens peuvent traiter l’Autre d’extrême droite, de fasciste, de catho intégriste ... lui refusant donc la parole.
Attention, je n’idéalise pas la parole ni même l’écoute et suis prêt à refuser l’écoute à ceux qui la refusent. Mais je n’utilise jamais cette arme en premier.
Ma deuxième valeur est négative et c’est la spectacularisation dont je viens de parler. Et non ce n’est pas évident car cela inclut la victimisation dont usent et abusent toutes les communautés qui sont proches du Spectacle ou des médias. C’est à dire presque tout le monde.
Ma troisième valeur est positive. C’est la notion de limite par principe, de némésis par opposition à l’hubris. Et non ce n’est pas évident car dans un monde fini (et là ce n’est pas une valeur, mais une constatation), il faut être fou, économiste, de gauche ou de droite pour croire en la Croissance infinie.
Appliquons concrètement ces valeurs à un article. Julian Savulescu dirige un institut d’éthique pratique à Oxford et a fait un entretien en 2015(nautil.us/issue/28/2050/the-philosopher-who-says-we-should-play-god) dont je vais extraire certains passages pour commenter ce que la bioéthique (au moins anglosaxonne) peut faire de pire.
>C'est à peine si qui que ce soit voit une quelconque objection fondamentale éthique [au clonage humain]. Rappelez-vous que 1 grossesse sur 300 implique des clones. Les jumeaux identiques sont des clones.
Le problème avec cet énoncé est qu’on a tendance à se révolter, mais l’argumentation ne suit pas toujours. La raison est profonde. Il faut voir ici que la Science suppose que le monde ne soit considéré par elle que par ce par quoi il lui apparaît. Et non ce n’est pas évident car alors les «objets» d’études (fussent-ils des sujets!) seront réductibles à un ensemble de mesures, à des nombres. C’est comme si on réduisait la connaissance d’une personne à la connaissance de son numéro de téléphone. Je ne dis pas que cette connaissance soit sans intérêt. Je dis juste qu’elle n’est pas tout de la réalité. Or M. Savulescu a une approche intrinsèquement scientifique (je répète scientifique) qui fait que si son objet a des composantes non mesurables, alors elles n’importeront pas dans son discours. Mais son discours étant le tout de la Vérité (la Science remplace le Dieu du XVIIe siècle), il n’existe rien d’autre pour lui.
Donc oui, si je définis un clone par son génome, des jumeaux sont des clones. Mais sa définition occulte l’intention (je reviendrai à cette notion en conclusion) des parents. C’est d’ailleurs la question que lui pose le journaliste:
>[question] Mais les jumeaux ne sont pas quelque chose que nous avons ingéniérées [fabriqué]. C'est juste arrivé.
Et sa réponse:
>Une des grosses erreurs en éthique est de penser que les moyens [ou intentions] font toute la différence.
Ici il fait une erreur de logique. On lui dit qu’il y a une différence et il répond qu’elle n’est pas tout. Il est vrai qu’elle n’est pas tout, mais cela ne suffit pas à dire qu’elle ne soit rien. Or le journaliste ne voit pas qu’il n’a pas répondu et passe à autre chose. En fait il a réaffirmé son opinion présenté avec l’autorité de la Science sans un vrai contradictoire avec le journaliste.
Je cite à nouveau M. Savulescu:
>[si la thérapie génique] devient sûre, il n'y a aucune différence en termes éthiques entre une thérapie génique et une sorte quelconque d'intervention biologique ou sociale.
On lit cela assez souvent mais c’est négliger que l’intention est cruciale (même si elle n’est pas tout !). Et en plus elle est très (trop ?) valorisée par notre société. J’ai déjà dit que je reviendrai à la place de l’intention.
M.Savulescu:
>Quand les gens passent au crible leur descendance pour le mongolisme ou les déficiences mentales, c'est de l'eugénique.
C’est vrai à mon avis et le sujet apparaît pour ce qu’il est : extrémement difficile. Notez que nous sommes favorable à l’avortement. Mais nous pensons qu’il pose déjà un problème effroyable. La suppression de la référence légale à une détresse (qui n’a jamais été rédhibitoire dans les faits) par l’ancienne présidence montre bien ce consumérisme qui fait que des lobbys proches du pouvoir veulent en avoir toujours plus (en opposition à mes principes 2 et 3).
M. Savulescu:
>Ce qui était vrai avec l'eugénique nazi est que c'était involontaire. Les gens n'avaient pas le choix. Aujourd'hui, les gens peuvent choisir d'utiliser les fruits de la Science pour prendre ces décisions de sélection.
Ce monsieur, pur produit d’un monde individualiste, mais où les Etats, contrairement à ce qu’on dit, sont hyper puissants, voit comme un avantage que l’eugénisme ne soit pas d’État mais de marché. Il ne voit pas de distinction entre soigner son enfant pour éviter qu’il meure et fabriquer un enfant comme produit de sa volonté, mais il en voit entre l’État et le marché. C’est bien un anglo saxon. Le journaleux n’a rien pensé à lui objecter. Le plus fort est que si vous vous y opposez (et cela nous est arrivé), vous serez qualifié d’antidémocratique. Nous assumons de plus en plus un tel antidémocratisme. Nous savons que nous avons raison devant l’Histoire, même si nous avons tort devant les comités d’éthique et le Spectacle médiatique.
M. Savulescu:
>Pour la première fois dans l'histoire humaine, nous sommes réellement les maîtres de nos destinées.
Son erreur est de ne pas voir que les deux «nous» diffèrent. Le premier désigne quelques-uns. En clair il s’agit des scientifiques, qu’ils soient du public ou du privé. Le second est chacun de nous. D’une part il contribue à atomiser les gens en poursuivant la logique hyper individualiste qui enferme chacun dans une identité qu’il est sommé de redéfinir sans arrêt pour être conforme au Spectacle et à la nouveauté consumériste (deux principes négatifs pour nous). D’autre part, il assied en fait, en l’occultant, le pouvoir des scientifiques, des Experts, des Zélites. Asseoir ce pouvoir c’est forcément diluer celui des citoyens, c’est à dire diminuer une vraie écoute des citoyens sauf au travers de simulacres comme la réunion de ce soir ou celles déjà organisées notamment par le CCNE. C’est bien sûr en contradiction avec le premier principe énoncé (l’écoute).
M. Savulescu:
>Avec nos ordinateurs et l'internet, nous sommes plus intelligents que chacun de nos prédécesseurs.
Cette phrase m’intéresse beaucoup car elle est plus riche qu’il n’y paraît. Je passerai vite sur l’orgueil de cette personne qui ne connaît probablement pas de gens simples d’esprit (mais pas forcément de cœur!). Vous aurez peut-être remarqué que les scientifiques ne donnent jamais (en spectacle!) leurs définitions de l’intelligence par exemple. Nous devons les deviner et donc les accepter. La prolifération du Spectacle fait que nous en sommes réduits à accepter que les débats ne soient plus que des superpositions de discours non contradictoires (de façon interne cardès qu’il y a deux personnes, il y a de la contradiction). C’est un peu court comme le signale H. Arendt et cela contribue à enfermer chacun dans son propre discours, mais sans qu’il faille écouter l’autre (ici encore mes principes s’appliquent).
Quelle est donc la définition cachée de M. Savulescu ? Il définit l’intelligence par ce que peuvent nous apporter les ordinateurs et l’internet. C’est à dire des connaissances et pas ce que, naguère on appelait de l’intelligence. Quelle est l’erreur ? Eh bien comme avant, il ne définit l’intelligence que par ce par quoi il peut la mesurer. C’est un scientifique. Il ne prend pas en compte l’empathie, l’amour, la tendresse.
La conception par Simone Weil de la Science a été analysée dans un article d’Olivier Rey. Elle insiste sur le fait qu’il ne peut exister de vérité (terme qu’elle préfère à la Science) que de ce que l’on aime. Or la Science a une méta exigence de se couper de son objet d’étude. D’être objective et pas subjective. D’être froide et pas mièvre. C’est aussi ce que dit H. Arendt sur l’évolution de la Science et de la modernité.
Pourquoi nous nous opposons à ces idées? Pour une autre raison. En fait, ce monsieur fait l’erreur communément admise de proposer comme objectif à la vie d’être «quelque chose qu’on a fabriqué de ses mains» (H. Arendt). En anglais cela s’appelle un self-made man. Il suffit de le traduire pour voir qu’il nous gène tous. Qui voudrait être un homme auto-construit ? Eh bien c’est quand même ce que, tous, et en particulier l’institution scolaire, insuffle aux enfants : c’est le discours de l’autonomie que j’aurais pu mettre comme une valeur (partiellement) négative dès le début alors qu'elle est unanimement considérérée comme positive.
C’est une double erreur. D’une part parce que l’on ne préexiste pas à soi-même. Donc dire qu’on va se faire soi-même est une idiotie qui masque autre chose (la soumission au spectacle, au Marché ou au monde tel qu’il est alors qu’on prétend former les enfants pour qu’il n’excluent pas de changer le monde ?).
D’autre part parce que cela assoie la fascination pour l’intention (dont j’ai parlé à plusieurs reprises au début). Ici il s’agit ni plus ni moins que de faire la double hypothèse que lecorps/chair/matière/nature soit séparable de l’esprit/intention/volonté/culture. Et comme souvent avec les progressistes qui nous gouvernent, que le second môle soit supérieur au premier.
Au CCADV, nous soutenons, avec deux mille ans d’histoire de la philosophie derrière nous, que le corps et l’esprit sont inséparables et que toute personne qui tente de les séparer finira par les hiérarchiser et entrera dans un monde qu’elle pensera infini (en contradiction avec mon deuxième principe). Comme le dit H. Arendt, «C'est le même désir d'échapper à l'emprisonnement terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette». Vouloir se mettre en amont de soi-même, vouloir dominer son corps (par l’esprit !), c’est aussi se mettre dans un cercle de croissance infini qui ne se terminera que dans un totalitarisme. Il suffit de voir le discours des transhumanistes.
Nous défendons donc l’intention. Mais elle ne doit pas être balayée au profit de la matière. Il ne faut pas qu’elle soit tout (troisième valeur).
Et non ce n’est pas évident. Car nous soutenons aussi que le seul fait d’avoir accepté non pas une union pour les gays et lesbiennes, mais un mariage, était déjà saper ce principe. Avant Taubira, la filiation s’enracinait tant dans la matière la plus matérielle (on naît de sa mère dans le sang) que dans la convention, l’intention (la paternité se désignait par la convention). C’est à ce lien dissymétrique et indissoluble, à cette alliance entre le corps et l’esprit, entre la nature et la société, entre la matière et l’intention, que nous sommes attachés.
Plusieurs fois, nous avons évoqué l’intention et annonçé que nous la défendrions. Justement, on constate à la fin que M. Savulescu n’est pas honnnête. D’une part il méprise l’intention quand il dit qu’il n’y a pas de différence entre un enfant fabriqué et un enfant né (voir le film Blade runner). D’autre part, l’intention d’avoir un enfant avec telle ou telle caractéristique lui suffit à justifier moralement (dès que ce sera faisable) une telle pratique. Ce n’est en fait pas tout à fait une contradiction car ce qu’il défend n’est pas l’intention de qui que ce soit, mais que les humains se réduisent à leurs intentions, leurs volontés qu’il suppose libres alors qu’il leur propose les tentations de la toute puissance mises au point par des armées de scientifiques qui s’étonnent des usages faits par leurs recherches et les outils et techniques mis au point. On se demande qui est le plus malhonnête entre les scientifiques surpris des usages, ou les éthiciens qui essaient de nous habituer aux usages (cf. H. Atlan aussi sur un utérus artificiel). Son objectif est donc bien d'asseoir l'intention/volonté au-dessus de tout. En particulier de la matière, des données ...
On pourra toujours nous répondre qu’il y avait une demande. Les éthiciens ne sont-ils plus que des sondeurs qui observent quand on atteint une majorité de demandes (de 50% ou de 100%, et incluant aussi les enfants à naître ?) ? Le Spectacle ne peut-il pas susciter voire créer une demande ? Une telle demande induit immédiatement (et nous y sommes déjà) à la demande d’une reproduction à l’un-seul (linceul ...) qui fait entrer dans une illimitation contraire à mes principes qui, décidément donnent pas mal de conséquences.
Mais je dois m’arrêter.
Car en fait, nous avons déjà contacté par trois fois des comités d’éthique pour être auditionnés. Sans réponse. De plus le CCNE a été modifié par Hollande pour être plus au service de ses lobbys.
Je ne doute donc pas que l’écoute que je pourrai avoir, moi qui ne suis pas dans le Spectacle, qui suis dans la limitation, dans l’acceptation de mes propres limites, ne dépassera pas les 10’ allouées et que j’ai déjà dépassées.
Je pense que nous ne sommes là que pour un spectacle et ne peux que vous encourager à ne pas collaborer comme je viens de le faire.
Merci de votre attention.
11avril 2018
CCADVParis
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